YANN VACHER

Lors d’un récent échange, un collègue évoquait la demande de collaboration qu’il venait de recevoir en tant que chef de service de la part d’un autre service plus « important ». Il me témoignait de sa crainte qu’il y ait derrière cette demande un processus de fusion / absorption « caché » de son propre service. Sachant que je travaillais sur la coopération, il m’interrogea sur le sens du terme « collaboration ». Je présente ici les éléments que j’ai brièvement partagés oralement avec lui.

Collaborer <-> coopérer

Entre le travail en commun (co labeur) et l’opération en commun (co opération), les différences pourraient paraître peu significatives. Pourtant, les usages de ces mots ont laissé des marques. Dans beaucoup de grandes entreprises, le mot « collaborateur » est apparu il y a une vingtaine d’années pour désigner les acteurs « N-1 » avec qui l’utilisateur du terme travaillait. Dans ce cas, la collaboration comporte une dissymétrie et une dimension hiérarchique : être collaborateur c’est alors « être au service » d’un niveau supérieur. La crainte de mon collègue était liée d’ailleurs au risque de l’instauration d’une verticalité par la demande reçue.

Une deuxième acception du terme de collaboration réside dans la distribution de tâches distinctes à plusieurs acteurs au cœur d’un même projet. C’est dans ce cas le projet commun et unique qui donne la dimension « co » de la collaboration mais pas l’opération de travail conjoint. La répartition du travail, en fonction des compétences ou centres d’intérêt, aboutit à la juxtaposition d’activités qui nécessitent ensuite une coordination pour aboutir à la réalisation du produit final. Si cette tâche est confiée à une personne, à un groupe, à un service ou à un supérieur hiérarchique (N+1)), le processus demeure de la collaboration au sens réduit, le projet / produit qui incarne le « co » le travail (labeur) restant « séparé ».

Si au contraire l’ensemble des acteurs est mobilisé pour concevoir, réguler et finaliser le produit / l’œuvre, on peut alors parler de coopération. Dans cette configuration, toute dissymétrie ou syncrétisme (juxtaposition puis assemblage) disparaît au profit de l’opération en commun. Le collectif est porteur, garant et animateur de la dynamique de production. La coresponsabilité s’édifie autour du sens élaboré et validé collectivement. A noter que ce processus de coopération ne nécessite pas une phase préalable d’activités séparées : un collectif peut très bien se constituer et entamer directement un processus de coopération.

Suite à notre partage, mon collègue en a conclu que dans sa situation, c’est plutôt à une intention négociée de coopération qu’il souhaitait répondre et non à une demande de collaboration telle que décrite dans les deux acceptions.

De multiples angles de vue possibles

Je précise que les définitions que j’ai proposées n’ont pas de statut scientifique, elles cherchent à distinguer pour éclairer les possibles. L’angle de vue qui les sous tend est celui de l’approche organisationnelle et institutionnelle et non celle des processus qui sont au cœur des formes de travail. Une analyse de l’activité rejoindrait probablement l’analyse étymologique pour constater que la différence entre « travail / labeur » (au sens de l’activité et de la tâche réalisée) et « opération » n’est pas significative et que « collaboration » et « coopération » ne se distinguent pas fondamentalement en termes de processus. C’est en partie l’option choisie par Marc Thiébaud et Jürg Bichsel dans leur fascicule « 10 clés pour coopérer ». Ils considèrent que beaucoup de paramètres entrent en jeu et qu’il devient illusoire de définir ainsi deux catégories. Ils retiennent l’aspect de l’intensité de la coopération / collaboration pour faire une distinction par rapport au terme de coordination.

Pour terminer cette brève réflexion, j’ajouterai trois points (qui n’ont pas fait partie de l’échange avec mon collègue) :

La « définition » sommaire du terme « coopération » que j’ai proposée est (en France au moins) potentiellement à l’opposé de celle que l’on retrouve dans une partie de la coopération internationale qui a longtemps été marquée par les logiques colonialistes, avec la dissymétrie qu’elles comportaient.

Il serait aussi possible de différencier les termes à partir d’une analyse socioprofessionnelle comme le fait la psychologie du travail. Le terme « opération » pourrait être relié à une dimension opératoire / processuelle/technique alors que le terme « travail / labeur » renverrait pour sa part à une construction sociohistorique, inscrite dans des champs de tensions politiques, économiques et institutionnels.

Les deux termes ont des valences étymologiques, épistémologiques diverses, des usages culturels ou stratégiques variés. L’utilisation de l’un ou l’autre importe peut-être moins que la nécessité qu’ils soient (re)définis dans un échange entre les interlocuteurs et tout au long du processus initié.